LA REVANCHE DE LA CHINE, CET EMPIRE DU MILIEU DÉPECÉ EN 1898

 En Chine - Le gâteau des Rois et… des Empereurs

Les festivités du nouvel an chinois qui commencent aujourd’hui nous invitent à revenir sur un pan de l’histoire de la Chine, cet empire du Milieu dépecé à la fin du 19ème siècle par les grandes puissances de l’époque…

 

« Les derniers jours de Pékin » de Pierre Loti font une peinture précise de cette période, laissant un goût amer face aux pillages, aux destructions inutiles d'un magnifique patrimoine, et des tueries toutes aussi inutiles que cruelles. Après cette lecture, on peut « sourire » en repensant au titre du livre « Quand la Chine s'éveillera... le monde tremblera » d'Alain Peyrefitte. Forcément après ce que la Chine a subi de l'Occident et du Japon à cette période de l'Histoire, le monde avait sans doute toutes les raisons de trembler, et de craindre la revanche d'une Chine qui avait été déchirée entre leurs mains ?

 

Illustration : Dessin d’Henri Meyer (1841-1899) - « Le Petit Journal » du 16 janvier 1898. Bibliothèque nationale de France.

Cette période laissera la Chine affaiblie, elle manquera la révolution industrielle, trainant avec elle de profondes cicatrices. Si la Chine « dormait », elle s'est effectivement réveillée et aujourd'hui se relève, ajoutant des cerises sur son gâteau !

Pour illustrer cette période de l'histoire, cette caricature ci-dessus parue en 1898 dans « Le Petit Journal », représentant le découpage de la Chine. Elle évoque de manière symbolique les tendances impérialistes des grandes puissances occidentales et du Japon à l'égard de la Chine à cette époque.

On y découvre six personnages, facilement identifiables : La Marianne française, au doux visage, qui représente la France, seul personnage qui ne tient pas de couteau à la main et qui ne participe pas au découpage du gâteau Chine autour duquel sont rassemblés les représentants de quatre autres nations ; l'empereur Meiji du Japon, dont le sabre est posé sur la table, couverte d'une nappe blanche comme pour les grands festins, il semble réfléchir à la portion de gâteau qu'il emportera, Nicolas II de Russie qui s'apprête à participer au découpage comme son voisin, l'empereur Guillaume II d'Allemagne ; enfin la Reine Victoria de Grande Bretagne qui brandit un couteau d'une main, tandis que de l'autre elle couvre une portion du gâteau pour la protéger de la gourmandise de son voisin. Le représentant de la Chine, coiffé de la natte traditionnelle mandchoue, n'est pas autour de la table des négociations, mais derrière, levant les bras au ciel en signe d'impuissance. Si Marianne se trouve derrière l'empereur de Russie, une main sur son épaule, c'est pour marquer symboliquement l'alliance de la France avec la Russie durant cette période.

CONTEXTE POLITIQUE

La Chine est alors gouvernée par la dynastie Qing non chinoise, mais Mandchoue. Le pays est d'abord découpé par les Empires occidentaux puis le Japon, réalisant que les Occidentaux avaient obtenu des colonies, des marchés, des ressources, une main-d’œuvre bon marché, décide de participer au « festin ».

Il attaque donc la Corée, vassale de la Chine, géographiquement toute proche. L'occupation de la Corée ouvre ainsi au Japon la porte de la Mandchourie, qui a des ressources en fer et en charbon.

L'Allemagne intervient après le meurtre de deux prêtres (ou le prétexte) et annexe les régions de Qingdao et de Jiaozhou au Shandong ; les Anglais annexent la région de Weihai au Shandong, les Russes celle de Dalian et de Lüshun dans le sud de la péninsule du Liaodong. Les concessions japonaises sont Hankou, le Hubei, Tianjin et Fuzhou dans la région de Fujian. Les Français annexent la région de Zhanjiang.

On peut être surpris par l'absence des États-Unis sur le dessin, c'est qu'ils exigeaient seulement que les ports chinois leur soient ouverts ; à l'époque de la publication du dessin, 1898, ils n'étaient pas encore intervenus, et ne s'étaient pas joints à l'expédition internationale contre les Boxers. Pour rappel les Boxers qui se disaient invincibles, luttaient contre les missionnaires occidentaux et les Chinois convertis au christianisme.

Dessin de Georges Grellet.
Dessin de Georges Grellet.

Les Anglais qui avaient une balance commerciale déficitaire essayaient de vendre de l'opium en provenance du Bengale à la Chine. Officiellement l'usage de l'opium était interdit en Chine, les Chinois en brûlèrent deux tonnes et bloquèrent les navires de transports ce qui entraîna la colère des Anglais et les guerres dites « guerres de l'opium » s'en suivirent. Le traité de Nankin en 1842 ouvrait cinq ports et cédait Hong Kong aux Anglais. On parle alors des « traités inégaux ».

 

De défaites en défaites et de traités en traités, la Chine perdit donc le droit sur les taxes douanières, des morceaux entiers de son territoires passèrent entièrement sous administrations étrangères, avec leur propre police et leurs propres tribunaux. Bien entendu, les Anglais devenaient libres d'écouler leur opium qui fit des ravages dans la population. Quant aux ressortissants étrangers, ils étaient libres de circuler à leur guise, partout en Chine.

Les conséquences sont terribles pour la Chine, c'est la désagrégation politique et l'effondrement économique et social. Les indemnités de guerre sont écrasantes pour la Chine, les industries étrangères s'installent, et une invasion de capitaux étrangers laisse une Chine sans réponse.

L'essor de ces entreprises étrangères, bancaires, usines, mines, et une main d'œuvre chinoise exploitée à bon marché contribuent à la catastrophe économique de la Chine. Les marchés de la soie, du coton, du thé, qui étaient la richesse du pays en raison de leur importation importante, ne voient plus leurs marchandises exportées. L'emprise est économique mais aussi militaire. D'où les grands couteaux sur l'image ? Et chacun de s'installer, plantant son drapeau comme le montre la caricature du Petit Journal. On imagine sans mal les conséquences politiques, l'humiliation et le désarroi d'une Chine dépouillée, pas du tout préparée à ces guerres, engluée par les traités inégaux qui la ligotent.

Avril 1898, date qui évoque famines et inondations au Shandong et donc ajoute au désespoir car l'on sait l'importance qu'accordent les Chinois à l'observation des éléments naturels. En effet quand la Nature se déchaîne, nous savons que dans la Chine ancienne, cela fut toujours considéré comme le signe avant-coureur de la fin d'un règne, de la perte du Mandat Céleste de l'Empereur…


Voici ci-dessous, l’article tel qu'il a été publié en 1898 par Le Petit Journal , l'un des quatre plus grands journaux français de l'époque. Nous avons reproduit le texte pour en simplifier la lecture.

Le Petit Journal - Dimanche 16 janvier 1898.
Le Petit Journal - Dimanche 16 janvier 1898.

EN CHINE - LE Gâteau des Rois et… des Empereurs

L’Europe s’occupe très activement à conjurer le fameux péril jaune ; vous connaissez la fameuse menace d’un envahissement par l’Est de ces nations asiatiques qui doivent, selon les spécialistes, comme une nuée de sauterelles s’abattre un jour sur nos terres dépeuplées par l’égoïsme.

 

Les Chinois se multiplient effroyablement, tandis que nous craignons les trop nombreuses familles, donc ils doivent nous manger. Toutes les grandes invasions ne sont-elles point parties de l’Asie ? Voyez Attila !

 

La thèse est bonne à soutenir quand l’intérêt personnel est en jeu ; c’est ce qu’a compris merveilleusement l’empereur d’Allemagne habile à profiter des circonstances. Il a pris prétexte d’un assassinat de missionnaires allemands pour faire débarquer ses soldats en Chine, il envoie sous la conduite de son frère Henri une flotte pour soutenir sa prétention à une part du gâteau.

Mais l’Angleterre y veut mordre aussi ; puis la Russie, qui souhaite pour son chemin de fer transsibérien un port d’arrivée moins encombré par les glaces que Vladivostok ; puis la France dont les intérêts en Extrême-Orient sont trop grands pour qu’elle laisse accomplir le partage sans s’en mêler.

 

Le Japon estime que ses victoires récentes lui donnent droit également à quelque chose, de sorte que tout le monde se précipite sur le gâteau des rois et des empereurs.

Comment le festin se terminera-t-il ? C’est ce qu’il est bien difficile d’établir à l’heure qu’il est.

 

L’Europe est forte, mais la diplomatie chinoise est rusée.

 

Un choc entre l’Allemagne et l’Angleterre un jour ou l’autre est inévitable, la première étant résolue à disputer à la seconde sa supériorité coloniale ; la fève de ce gâteau sera-t-elle un obus chargé à la mélinite ?

 

Article « Le Petit Journal » – Supplément illustré - dimanche 16 janvier 1898

Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France.



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