BÛCHE DE NOËL : EN BOIS OÙ À LA CRÈME ?

Bûche de Noël de Guy Krenzer, chef chez Lenôtre.
Bûche de Noël de Guy Krenzer, Chef chez Lenôtre.

Il n’est pas de repas de fête sans dessert. Le réveillon est un repas d’exception, qui doit se terminer en apothéose : la bûche de Noël.

 

L'invention de la bûche en tant que pâtisserie remonte au XIXe siècle, sans que personne ne sache vraiment qui en a la paternité, les sources multiples se contredisant. Certaines évoquent sa création vers 1834 par un apprenti pâtissier de Saint-Germain-des-Prés. D’autres estiment que la bûche de Noël est née à Lyon dans les années 1860 dans la cuisine du chocolatier Félix Bonnat. Une autre piste mène à Quillet, un pâtissier parisien, à qui l’on attribue la paternité de la bûche : il a inventé la crème au beurre vers les années 1870.

Toujours est-il que la bûche en tant que pâtisserie n’a commencé à se populariser qu’après la Libération, dans les années 1945-1950

Une bûche  de bois est tirée jusqu'à la cheminée.
Une bûche de bois est tirée jusqu'à la cheminée.

La tradition de la bûche existe dans une grande partie de l’Europe depuis le XIIe siècle. Mais il s’agit d’une vraie bûche de bois franc, qu’il faut aller, selon la coutume, couper dans la forêt, et rapporter en grande cérémonie à la maison. Cette coutume s’appelait « tronco » ou encore « souco » en Auvergne, « ceppe » en Corse, « cache-fio » en Provence, « kef nedeleck » en Breton, « terfeu » ou « tréfoué » dans les pays de Loire. Elle se pratiquait dans toute la France jusqu’à la fin du XIXe siècle et sa disparition, en milieu rural, est due à l’évolution des modes de cuisson. Les familles se sont équipées progressivement de cuisinières de fonte, qui prenaient place sous le grand manteau de la cheminée, dans l’âtre, à l’endroit précis où l’on brûlait auparavant la bûche de Noël.

Selon les régions, on choisissait un bois dur pour que la combustion coïncide avec le temps des douze jours. Il fallait souvent être à plusieurs pour aller la chercher et la porter solennellement jusqu’à la cheminée où elle était placée perpendiculairement et poussée chaque jour. Dans les Landes, cette grosse bûche devait être installée en même temps que des bûchettes en nombre égal à celui des habitants de la maison, sinon la malédiction frapperait l’un d’eux qui mourrait dans l’année.

La bûche était placée dans l’âtre par le père de famille qui procédait à des libations de vin cuit, de sel et d’huile, rite de fertilité, puis bénissait le tronc avec le buis des Rameaux. Chacun récitait un « pater » ou d’autres prières. La mise à feu – souvent à partir d’un tison de la bûche de l’année précédente, soigneusement gardée au-dessus de l’armoire parce qu’elle protégeait la maison – était confiée aux jeunes filles. Cette bûche devait brûler sans s’éteindre pendant les douze jours qui vont de Noël aux Rois, d’où la nécessité d’un véritable tronc d’arbre et les difficultés à le transporter.

Bénédiction de la bûche de Noël par le père de famille.
Bénédiction de la bûche de Noël par le père de famille.

Selon les régions, le choix de l’essence de l’arbre, les rituels pour son allumage et sa durée de combustion pouvaient varier. Beaucoup de croyances entouraient cette bûche, sur laquelle il ne fallait jamais s’asseoir sous peine d’attraper des furoncles aux fesses. Les brandons éteints étaient soigneusement conservés pour protéger la maisonnée contre la foudre et la maladie. Réduits en poudre ou trempés dans l’eau, ils avaient le pouvoir de guérir hommes et bêtes qui boiraient cette potion magique et faisaient rempart aux maléfices de toutes sortes et au Diable. Cette croyance se retrouvait dans toute l’Europe.

Frédéric Mistral.
Frédéric Mistral.

Frédéric Mistral a relaté dans ses mémoires et récits, en 1920, le rite de la bûche dans sa famille provençale : « Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la bûche de Noël, qui, c’était de tradition, devait être un arbre fruitier. Nous l’apportions dans le Mas à la file, le plus âgé la tenant d’un bout, moi, le dernier-né de l’autre ; trois fois nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant Allégresse, Allégresse ! Mes beaux enfants, que Dieu nous réjouisse ! Avec Noël tout bien vient : Dieu nous fasse la grâce de voir l’année prochaine et sinon plus nombreux puissions-nous n’y être pas moins.  Et nous écriant tous : Allégresse, Allégresse ! On posait l’arbre sur les landiers et dès que s’élançait le premier jet de flamme : À la bûche boute feu ! disait mon père en se signant. »

Un poêle installé dans l'âtre d'une cheminée.
Un poêle installé dans l'âtre d'une cheminée.

Cette coutume a disparu progressivement à la fin du XIXe siècle, d’abord en milieu urbain où il n’existait pas de grandes cheminées, puis dans les habitations rurales, quand on y introduisit des poêles ou que l’on installa peu à peu, dans les grands âtres, des cuisinières de fonte. Elle fut cependant gardée sous la forme d’une petite bûche de bois décorée de bougies que l’on plaçait en décor central sur la table de réveillon. Les pâtissiers parisiens inventèrent un gâteau roulé, fourré de crème au beurre et recouvert d’un glaçage au café ou au chocolat imitant l’aspect d’une écorce de bois, décoré de feuilles de houx et de fleurs en sucre. Ces décors ont été remplacés par des petits personnages comme des nains bûcherons avec leurs scies ou leurs haches, des champignons et petits animaux de la forêt pour la plus grande joie des enfants. Ensuite, les grands pâtissiers ont mis fin à cette époque en les décorant sobrement, afin d'en faire un entremets raffiné. Aujourd’hui, la bûche glacée tend à remplacer la pâtisserie, jugée moins diététique !

 


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