LES ÉCHECS : DE L’INDE À L’EUROPE

En Inde, on jouait avec un vizir, un éléphant, un cheval. Une fois en Europe, vers l'AN MIL, on innove avec la tour, le roi, la reine et le fou… Mais toujours sur 64 cases.

Buzurjmihr explique le jeu d'échecs à l'envoyé hindou, Folio d'un Shahnama - Provenance : Iran ou en Irak vers 1300.
Buzurjmihr explique le jeu d'échecs à l'envoyé hindou, Folio d'un Shahnama - Provenance : Iran ou en Irak vers 1300.

Bien des peuples se disputent l'honneur de l'avoir inventé. Bien des légendes courent sur ses origines : de l'histoire du roi indien Belkib, qui aurait reçu le jeu d'un brahmane après avoir lancé un concours d'inventions destiné à tromper son ennui, à celle du Grec Palamède, qui l'aurait mis au point pour divertir ses compatriotes durant la longue guerre de Troie.

L'ancêtre le plus communément reconnu est le jeu indien du chaturanga, inventé au Cachemire au Ve siècle après J.-C. Même si celui-ci se joue à quatre, il propose deux innovations appelées à un grand avenir : un plateau de 64 cases, ainsi que des pièces qui, représentant les diverses composantes d'une armée indienne, possèdent chacune un mode de déplacement propre.

 

Vers l'an 600, le chaturanga passe en Perse, où il devient le chatrang. Lorsque les Arabes conquièrent l'Empire sassanide, ce jeu constitue l'une de leurs plus belles prises de guerre. Ils le nomment shatranj, et modifient la personnalité des pièces : les soldats iraniens et perses laissent la place au roi et à son vizir, à l'éléphant et au cheval. Le succès est tel dans le monde arabe que, dès le Xe siècle, apparaissent les premiers joueurs professionnels. Les plus grands maîtres, qui se comptent sur les doigts d'une main, sont appelés aliyat ; lorsqu'ils affrontent les califes, ils s'appliquent à perdre avec les honneurs.

Reste à déterminer à quel moment le shatranj arabe conquiert l'Europe, pour donner naissance aux échecs. L'histoire qui veut que Charlemagne soit le premier Européen à y avoir joué, après en avoir reçu un exemplaire en cadeau du calife Haroun al-Rachid, est également à ranger dans les légendes.

Néfertiti, femme de Ramsès II, jouait au senet, un jeu de table dont les pions ressemblaient à s'y méprendre à ceux des échecs. La fresque provient de sa tombe, édifiée au XIIe siècle avant J.-C.

Miniature castillane du XIIIe siècle. Reproduction © J.Fuguet d'après le Livro de los juegos, de ajedrez, dados y tablas. Bibliotheca del Real Monasterio de El Escorial.


Car ce n'est en réalité que deux siècles plus tard, aux environs de l'an mil, que le shatranj parvient en Europe, dans les bagages des Arabes d'Espagne. Son passage en Occident se traduit par de nombreuses mutations. Le plateau, uniformément constitué de cases blanches en Orient, devient tout d'abord bicolore : il est alors composé de cases rouges et noires. De manière plus significative, dès le XIe siècle, les pièces s'occidentalisent : le vizir arabe devient la « Vierge », puis la reine ; l'éléphant, un évêque en Angleterre, et un fou en France ; le roukh se transforme en roc, puis en tour.

Pièces d'échecs de l'île de Lewis - Scandinavie, milieu du XIIe siècle

Ivoire de morse et dents de baleine - Hauteur de 4 à 10 cm.

Londres, British Museum © Courtesy of the Trustees of the British Museum

Mais le changement le plus notable intervient vers la fin du XVe siècle : la reine, jusqu'alors la pièce la plus faible du jeu – dans la lignée du vizir arabe, qui ne pouvait se déplacer que d'une case en diagonale -, devient subitement la plus puissante. Le jeu en est bouleversé et gagne en dynamisme. Cette nouvelle règle européenne s'impose bientôt dans le monde entier : les échecs modernes sont nés.

« Pierre de touche de l'intelligence », selon Goethe, ils ont fasciné Voltaire, Saussure, Wittgenstein,

ou Beckett… Autant de grands esprits qui y ont vu, plus qu'un simple jeu, la métaphore de la guerre,

de la politique. De la vie tout simplement. C'est pourquoi, on qualifia les échecs de « Roi des jeux et jeu des rois ».

Le joueur d'échecs  Garry Kasparov en mai 1997.
Le joueur d'échecs russe Garry Kasparov en mai 1997.

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