L’ÉPIPHANIE ET LES ROIS MAGES

Les rois mages arrivent à Jérusalem.
Les rois mages arrivent à Jérusalem.

Extrait de LA LÉGENDE DORÉE*

de Jacques de Voragine (1228-1298).

 

Douze jours après la naissance du Christ, trois mages vinrent à Jérusalem. Leurs noms étaient, en latin, Appellius, Amerius et Damascus ; en hébreu, Galgalat, Malgalath et Sarathin ; en français, Gaspard, Balthazar et Melchior. Ces trois mages étaient des sages, et en même temps des rois ; car le mot mage, qui signifie imposteur et sorcier, a aussi le sens « d’homme très savant ».

 

On peut se demander pourquoi ces mages vinrent à Jérusalem, puisque ce n’était pas là que le Christ était né. Remi en donne quatre raisons : les mages ignoraient le lieu exact de la naissance du Christ, et sont venus à Jérusalem parce qu’ils supposaient qu’un enfant aussi merveilleux ne pouvait être né que dans la capitale du royaume ; ils sont venus à Jérusalem pour consulter les savants et les scribes de la ville sur le lieu de naissance du Sauveur ; ils sont venus à Jérusalem pour ôter aux Juifs l’excuse de pouvoir dire qu’ils ignoraient le temps de la naissance du Messie ; enfin, ils sont venus à Jérusalem pour condamner, par le spectacle de leur zèle, l’indifférence et la mollesse des Juifs.

Saint Jean Chrysostome nous donne une autre explication de la venue des mages à Jérusalem. C’était, selon lui, des astrologues qui, de père en fils, passaient trois jours par mois sur une haute montagne dans l’attente de l’étoile qu’avait prédite Balaam. Or, dans la nuit de la naissance du Christ, une étoile leur apparut qui avait la forme d’un merveilleux enfant, avec une croix de feu sur la tête ; et leur dit : « Allez vite dans la terre de Juda, vous y trouverez un enfant nouveau-né qui est le roi que vous attendez ! »

On peut se demander ensuite comment douze jours ont pu suffire pour faire un si long trajet, depuis les confins de l’Orient jusqu’à Jérusalem, que l’on dit située au centre du monde. Suivant Remi, c’est l’Enfant divin lui-même qui les a conduits. Ou encore, suivant d’autres, la rapidité de leur course tient à ce qu’ils étaient montés sur des dromadaires, animaux très rapides, qui font plus de chemin en un jour que les chevaux en trois.

Arrivés à Jérusalem, ils ne demandèrent pas si le roi des Juifs était né, car ils le savaient déjà par l’étoile. Ils demandèrent où était né le roi des Juifs.

Les rois mages devant Hérode.
Les rois mages devant Hérode.

Ce qu’entendant, Hérode se troubla fort, et la ville entière avec lui. Hérode en fut troublé pour trois raisons : il craignait que les Juifs ne prissent pour maître ce roi nouveau-né ; il craignait d’être mis en accusation par les Romains s’il permettait à un homme non proclamé roi par Auguste de revêtir le titre de roi ; comme le dit saint Grégoire, un roi terrestre ne pouvait manquer de se sentir troublé, se voyant en présence du roi des Cieux. Et quant au trouble des Juifs, il s’expliquait également par trois raisons d’après Chrysostome : par l’impossibilité où sont les impies de se réjouir de l’avènement du Juste ; par l’adulation de ces Juifs pour Hérode, dont ils voyaient le trouble ; par l’incertitude où ils étaient de leur sort devant la perspective d’une révolution.

Hérode, ayant convoqué tous les prêtres et scribes, leur demanda où était né le Christ. Et quand il apprit que c’était à Bethléem, il le dit aux mages, en leur demandant de venir lui rendre compte de ce qu’ils auraient vu ; lui-même, prétendait-il, irait alors adorer l’enfant nouveau-né : mais en réalité, il ne songeait qu’à le faire périr.

Autre particularité : l’étoile cessa de guider les mages dès qu’ils furent entrés à Jérusalem, sans doute pour forcer les mages à s’enquérir du lieu de la Nativité du Christ, et ainsi à fournir devant tous le témoignage du miracle. Quant à la nature même de cette étoile, les uns disent que c’était l’Esprit-Saint qui avait pris cette forme pour guider les mages, d’autres que c’était un ange, d’autres enfin, dont nous partageons l’avis, supposent que cette étoile était un astre nouvellement créé, qui, ayant rempli sa mission, sera rentré dans le sein de la matière universelle. D’après Fulgence, cette étoile différait de toutes les autres en trois choses : elle n’était pas localisée dans le firmament mais pendait dans les airs, près de la terre ; elle était si brillante qu’on la voyait même en plein jour, éclipsant la lumière du soleil ; elle marchait en avant des mages, comme une personne vivante, au lieu de suivre le mouvement circulaire des autres étoiles.

L'adoration des mages par Jean Bourdichon.
L'adoration des mages par Jean Bourdichon.

Entrés dans la crèche, et y ayant trouvé l’Enfant avec sa mère, les mages se mirent à genoux, et offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Le choix de ces présents et leur don s’expliquent par plusieurs motifs : c’était l’usage, chez les Anciens, de ne jamais approcher d’un dieu ou d’un roi sans lui offrir des présents ; et les mages, qui venaient des confins de la Perse et de la Chaldée, à l’endroit où coule le fleuve Saba (d’après l’Histoire scolastique), apportaient les présents qu’avaient coutume d’offrir les Perses et les Chaldéens ; d’après saint Bernard, l’or était destiné à alléger la pauvreté de la Vierge, l’encens à effacer la mauvaise odeur de l’étable, la myrrhe à consolider les membres de l’enfant en expulsant les vers de ses intestins ; ces trois signifiaient la royauté du Christ, sa divinité et son humanité : car l’or sert pour le tribut royal, l’encens pour le sacrifice divin, la myrrhe pour la sépulture des morts ; enfin, ces trois présents signifient ce que nous devons offrir au Christ : car l’or est le symbole de l’amour, l’encens celui de la pierre, et la myrrhe symbolise la mortification de la chair.

Ayant adoré l’Enfant Jésus, les mages, qu’un songe avait avertis de ne point retourner auprès d’Hérode, s’en revinrent dans leurs pays par un autre chemin. Leurs corps furent retrouvés par Hélène, mère de Constantin, qui les transporta à Constantinople. Plus tard, saint Eustorge les transporta à Milan, dont il était évêque, et les déposa dans l’église qui appartient aujourd’hui à notre Ordre des Frères prêcheurs. Mais lorsque l’empereur Henri s’empara de Milan, il fit transporter les corps des mages, par le Rhin, à Cologne, où le peuple les entoure d’une grande dévotion.

Miniature du Lectionnaire de Spire sans doute réalisé à Wissembourg

Vers 1200, Bruchsal Codex, Karlsruhe, Landesbibliothek. 

Le retour des mages dans leur pays

« Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. » (Mt. 2. 12)

Le Lectionnaire de Spire nous les montre revenant par mer, la mer Rouge et le golfe persique sans doute, sur un bateau « viking »… Le marin qui tient le gouvernail porte une capuche, sur les deux voiles, verte et jaune, accrochées à une barre de mât horizontal, sont brodées les mêmes couronnes qui ceignent les têtes des trois « rois » mages tout heureux de rentrer dans leur pays après s’être prosternés devant l’enfant Dieu.

Lorsque vers 1260 parut le premier manuscrit de La Légende dorée, son retentissement fut tel qu’en quelques années elle devint, avec la Bible, le livre le plus copié et le plus lu de la chrétienté. Plus de mille manuscrits de la Legenda sanctorum – « ce qui doit être lu des saints » - virent le jour. Et bientôt on lui donna le beau nom de Legenda aurea car « son contenu est d’or ».


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