HALLOWEEN : UN BOOMERANG HISTORIQUE

  

Halloween, une coutume importée en Europe des États-Unis ? Vrai et faux !

Comme un boomerang, la fête d’Halloween revient dans la main d’une Europe qui l’avait lancée jadis par-dessus l’océan jusque dans le Nouveau Monde.

Halloween, fête païenne susceptible de supplanter la catholique Toussaint ? Vrai et faux !

Encore un effet boomerang : le christianisme avait substitué la Toussaint à l’antique célébration celtique de la nuit de Samhain ; celle-ci nous revient non pas telle quelle, mais à travers une des coutumes qui la caractérisait. Passionnante histoire que ces allers et retours, entre l’Europe et les États-Unis, entre le christianisme et le monde dit païen ! 

Une simple affaire commerciale ?

En Amérique du Nord, Halloween représente, après Noël, un des moments où le chiffre d’affaires des grands magasins monte en flèche. Ce fut également le cas en Europe au début du déferlement chez nous de la « nouvelle » vague d’Halloween. Aujourd’hui, l’engouement est retombé, les surfaces consacrées, dans les commerces, aux citrouilles et autres accessoires de sorcières ont été notablement réduites.

Aux yeux de certains, halloween est une pure création commerciale, comme la Fête des Mères ou la Saint-Valentin. Le propos doit être nuancé. S’il est vrai que les commerçants savent bien utiliser les moments favorables pour doper leurs ventes – qui pourrait le leur reprocher ? -, en revanche, ces stratégies ne réussissent vraiment qu’à la condition de se greffer sur une réalité préexistante : un sentiment, une émotion, une croyance, liés à tel moment de l’année. C’est vrai pour Noël, Pâques ou la Fête des Mères.

Si donc Halloween est un succès commercial aux États-Unis et, partiellement, chez nous, il faut se poser la question : pourquoi ? Quels sont les ressorts cachés que le commerce a su deviner et utiliser ? Répondre à cette question ouvre des horizons insoupçonnés et fait découvrir une culture – mieux, une combinaison de cultures – dans laquelle nous baignons, souvent sans le savoir : une certaine mentalité « moderne », rationaliste, assez superficielle, nous empêche d’aller au fond des choses, pour ne surfer que sur la crête des vagues. Nos coutumes d’Halloween ne sont qu’un résidu, un remous de surface au regard du contexte où elles sont nées, à savoir les grandes interrogations humaines sur le sens de la vie et de la mort, nos liens avec le cosmos, les secrets du temps.

Le tournant de novembre

Avant toute chose, considérons la date d’Halloween, le soir du 31 octobre. Cette date n’est pas due au hasard ni à un choix arbitraire. Pour le comprendre, il nous faut retrouver en nous-mêmes des sensations profondes, liées aux saisons. Notre rythme de vie moderne a, d’une certaine manière, aplati le temps, mais pas totalement. Nos lointains ancêtres, qui tiraient leur subsistance du sol, et non des achats dans une grande surface, ressentaient plus intensément que nous les changements saisonniers, mais nous y sommes encore sensibles. Aussi, il ne nous est pas très difficile de nous mettre dans la peau d’un Gaulois vivant au temps d’Astérix, quelques dizaines ou centaines d’années avant l’ère chrétienne.

Fin octobre, les récoltes et les vendanges sont terminées. On a engrangé la nourriture pour le bétail. Dans les greniers, des réserves de céréales ; dans des réduits ou des caves, des légumes – raves, navets, betteraves – permettent d’espérer qu’on pourra se nourrir jusqu’au printemps suivant. Il y a du vin dans les tonneaux.

Après les durs labeurs des semailles, des cultures et des récoltes, c'est le moment de se réjouir et de fêter, en de franches ripailles : on fait boucherie, on s'enivre un peu... ou beaucoup.

Mais la fête, on le sait, sera de courte durée. On entre maintenant dans l’hiver, qui promet d’être long. La nature, si généreuse durant la belle saison, tombe en léthargie, tout devient froid, stérile, comme mort. Les heures de lumière diminuent, les nuits s’allongent. Et si le soleil ne revenait pas ?

En cette période, la vie et la mort semblent mener un combat dont l’issue n’est jamais garantie, malgré l’expérience des printemps précédents. Les humains ressentent plus fortement leur précarité, leur finitude. Ils pensent à leur propre mort. Et à leurs morts ! Que sont devenus ceux qui ne sont jamais revenus du sommeil de la mort ? On les a inhumés, mais on croit que leur « âme » survit dans un autre monde.

Quel autre monde ? Habité de quels « esprits » ? Bénéfiques ou maléfiques ? Peut-on communiquer avec nos ancêtres disparus ? Comment se protéger d’éventuels esprits dangereux ? C’est dans ce contexte que se situe la grande fête celtique de Samhain.

Samhain, le nouvel an des Celtes

Originaires d’Europe centrale, les Celtes se sont répandus, au cours de la seconde moitié du millénaire avant notre ère, dans toute l’Europe occidentale, en Irlande et jusqu’en Asie mineure, avant d’être vaincus par les armées romaines, entre le IIIe et le 1er siècle av. J.-C. Les Celtes n’étaient pas des « sauvages ». De nombreux objets de leur art témoignent d’une culture et d’une civilisation remarquables, où la religion tenait une grande place, avec ses divinités, ses mythes, ses rites, ses druides, ses bardes. Les Celtes croyaient notamment à la survie de l’âme après la mort.

L’année celtique commençait le 1er novembre, sans doute pour les raisons exposées plus haut : après les récoltes et les vendanges de l’été et du début de l’automne, l’année mourait et un nouveau cycle commençait. Pour les Celtes, la journée débute non le matin, mais la veille au soir, comme dans la culture juive d’ailleurs. Autrement dit, le nouvel an celtique est célébré dès le soir du 31 octobre : c’était la nuit de Samhain (prononciation probable : saween).

La fête comportait de nombreuses réjouissances et ripailles bien arrosées, où tout le monde se rassemblait. Mais la dimension religieuse était très présente. Les druides allumaient des feux sacrés pour appeler le retour du soleil et aussi pour chasser les esprits mauvais. Chaque famille emportait une braise de ce feu pour allumer dans son âtre un foyer nouveau. Nos citrouilles abritant une bougie sont peut-être un lointain souvenir du récipient utilisé par les familles celtiques pour transférer chez elles la braise sacrée.

Pourquoi craindre les mauvais esprits précisément ce jour-là ? Le grand combat qui semblait opposer la lumière et les ténèbres, la vie et la mort était considéré comme une occasion privilégiée de communiquer avec les âmes défuntes : des feux étaient allumés sur les tombes ; on ménageait une place à table pour les défunts qui voudraient « revenir ». Mais cette abolition momentanée de la frontière entre les mondes visibles et invisibles comportait aussi un risque : des esprits maléfiques pouvaient en profiter pour s’introduire parmi les vivants. Il fallait donc s’en protéger et les chasser.

Exorciser la peur

Les déguisements d’Halloween – sorciers et sorcières, squelettes – ont certainement aussi leur origine en d’anciens rites destinés à éloigner les mauvais esprits. Assumer provisoirement leur visage hideux, n’était-ce pas une façon de conjurer la peur qu’ils pouvaient inspirer ?

À cette époque, les gens étaient plus superstitieux. Un grand nombre de phénomènes naturels ne trouvaient pas encore d’explication. Parfois, ces phénomènes effrayaient les populations. Quand une catastrophe inexpliquée se produisait, vite, on accusait les sorcières. Quelqu'un mourait subitement ? C'était la faute des sorcières. Une sécheresse ruinait les récoltes ? C’était encore la faute des sorcières.

 

Jusqu'au XVe siècle, les gens ont pensé que des milliers de sorcières et de sorciers parcouraient l'Europe durant la nuit. Ils les imaginaient coiffés de crapauds, volant sur leurs balais vers des lieux incertains où ils se rencontraient. Leurs enfants, disaient-ils, gardaient les troupeaux de crapauds dans les champs !

Alors, pour se protéger de ces mystérieuses créatures la nuit où celles-ci semblaient apparaître sans crainte, on se déguisait, on se grimait, pour ne pas être reconnu, et ainsi se protéger de leurs mauvais sorts.

Aujourd’hui, à partir d’une approche psychologique pu psychanalytique, certains estiment que ces masques terrifiants sont une façon d’exprimer – et donc d’assumer – la part d’ombre, de ténèbres, de mort, que chacun porte en soi, mais que nous refoulons dans la vie ordinaire.

Nous nous souvenons tous aussi combien, enfants, nous étions fascinés par les histoires de sorciers, de revenants, de maléfices : en les écoutant, les lisant ou les voyants au cinéma – la sorcière de Blanche Neige ou plus récemment d’Harry Potter, sans compter les films d’horreur -, nous savourions notre peur exorcisée.

Boomerang lancé par le christianisme

Au 1er siècle avant Jésus Christ, la civilisation celtique est « romanisée ». Les dieux des vainqueurs remplacent ceux des vaincus, du moins en Europe continentale. La culture et la religion des Celtes survivent mieux en Irlande, en Écosse et au Pays de Galles.

Peu après, au IVe siècle de notre ère, l’Empire romain « se converti » : des empereurs (Constantin, Théodose) déclarent le christianisme religion licite, puis quasiment obligatoire. La christianisation de l’Europe va s’accélérer et se répandre partout. Les prédicateurs et prélats chrétiens ont parfois fait la guerre aux anciens cultes et divinités. Mais souvent, ils ont estimé plus efficace de ménager un passage « en douceur » d’une religion à l’autre. On peut constater cela dans l’espace : des sanctuaires chrétiens sont élevés sur d’anciens lieux de culte païens. On le voit aussi dans le cycle du temps : les fêtes païennes ne sont pas supprimées, mais revêtues d’une nouvelle signification, elles deviennent des fêtes chrétiennes.

La Nativité du Christ – Noël – est célébrée le jour de l’ancienne fête solaire, le 25 décembre. Quant à la Toussaint, la fête joyeuse de tous les saints chrétiens, elle est d’abord célébrée à Rome durant le temps Pascal. L’antique Panthéon romain – temple dédié à toutes les divinités – devient, au VIIe siècle, l’église de Marie et des martyrs. Un peu plus tard, au VIIIe siècle, le pape Grégoire III fixe au 1er novembre une fête de tous les saints. En 835, un de ses successeurs, Grégoire IV, ordonne que cette fête soit célébrée dans toute la chrétienté d’Occident. Il n’en va de même dans l’Église orthodoxe, où la Toussaint est, aujourd’hui encore, fêtée le dimanche après la Pentecôte. La Toussaint, dans l’Europe catholique, a définitivement pris la place du nouvel an celtique. Le boomerang chrétien, adroitement lancé, a jeté bas l’ancienne fête païenne.

Les secrets du mot « Halloween »

En examinant de près le mot « Halloween », nous comprendrons mieux le lien qui unit la Toussaint au monde des trépassés. En anglais, la fête de tous les saints est désignée par deux expressions :

- ALL SAINTS’ DAY. Le mot saint a la même origine qu’en français, il vient du latin sanctus ;

- ALLE HALLOWS’DAY. Le mot hallowed (« saint ») est d’origine germanique (cf. l’allemand heilig), comme holy (« saint »), holiday (« jour saint, férié »).

Dans « Halloween », il y a donc l’idée de saint. La terminaison du mot se rattache à eve, qui signifie « la veille » (cf. evening, « le soir »). Halloween, autrement dit, c’est la veille de la Toussaint, le 31 octobre : le jour même de l’antique Samhain des Celtes, avec ses rites liés aux esprits et aux morts ! Malgré la christianisation du 1er novembre, des coutumes venues du fond païen des âges subsistaient le 31 octobre.

Un nouveau « jour des morts »

Entre la célébration des saints reconnus, et une pensée dirigée vers les défunts, y compris ceux qui achevaient leur sanctification au « purgatoire », il n’y avait qu’un pas. Le christianisme ne pouvait ignorer les rites liés au souvenir des morts. Mais, plutôt que de « baptiser » la Samhain celtique du 31 octobre, on institua une fête de la Commémoration de tous les fidèles défunts, que l’on fixa, dans la foulée de la Toussaint, le 2 novembre. Il semble bien que c’est l’abbé du puissant ordre de Cluny, Odilon (962-1048), qui en eut l’idée le premier et rendit cette célébration obligatoire dans tous les monastères clunisiens, plus de deux cents ! Par la suite, la fête fut étendue à l’Église catholique entière.

De nos jours, une certaine confusion règne : la Toussaint est souvent désignée comme le « jour des morts ». Cela s’explique assez simplement. La Toussaint étant jour férié dans de nombreux pays, elle est devenue, même pour les non-croyants, une date commode pour se rendre au cimetière, fleurir les tombes des défunts de la famille et s’y recueillir.

Hasard ou survivance, on constate que certains rites déjà pratiqués par les Celtes le 31 octobre, la nuit de Samhain, ont été spontanément adoptés en plusieurs régions, où, le soir de la Toussaint, on voit briller des centaines de lumignons sur les tombes de nos cimetières. Le repas qui réunit, à la Toussaint, les membres dispersés de nombreuses familles, rappelle aussi vaguement les réunions et réjouissances celtiques, en communion de pensée avec les morts. Quant aux sorciers et aux mauvais esprits, ils continuent de hanter le 31 octobre, soir d’Halloween en veille de la Toussaint.

L’exportation d’Halloween

Si la culture celtique a été pratiquement éliminée en Europe continentale, elle s’était mieux conservée, au moins dans le folklore, en Irlande. C’est ainsi que, dans ce pays comme en Écosse ou au Pays de Galles, on continuait de fêter Halloween, à travers quelques rites et légendes. Au XIXe siècle, une crise économique poussa de nombreux Irlandais à émigrer aux États-Unis. Ils y exportèrent leur Halloween, lequel, en ce passage, acquit un regain de vitalité. Les citrouilles évidées et illuminées de l’intérieur par une bougie ont remplacé les raves et les navets des Celtes. Elles sont aussi un lointain souvenir de la braise sacrée que les familles celtiques emportaient dans leur foyer.

Les cucurbitacées rappellent aussi l’étrange légende de Jack O’Lantern. Il existe plusieurs versions de cette histoire. Jack était un ivrogne, mais plutôt malin. Selon une version de la légende, il aurait battu le diable aux cartes, gagnant ainsi la certitude de ne jamais aller en enfer. Selon une autre version, il aurait fait un pacte avec le démon, mais, au moyen de divers stratagèmes, il aurait trompé son redoutable adversaire et obtenu, comme dans la première histoire, que son âme n’irait jamais bouillir dans les marmites infernales. Aussi, quand Jack mourut, les portes de l’enfer lui étaient fermées. Mais celles du Ciel, après la vie peu vertueuse du personnage, ne s’ouvrirent pas pour autant. Jack fut condamné à errer entre le Ciel et l’enfer, dans une obscurité que n’éclairait qu’une lanterne bricolée : une citrouille évidée contenant une braise que le diable, bon prince, avait retiré de sa fournaise pour la lui donner ! Personne ne sait si Jack a fini par trouver son chemin : peut-être poursuit-il son errance, en particulier le soir d’Halloween…

Quant à la coutume de Trick or Treat (des bonbons ou un sort), on ne connaît pas son origine exacte. Dans sa forme actuelle, elle est relativement récente aux États-Unis (première moitié du XXe siècle). Des enfants affublés de déguisements « effrayants », vont de maison en maison, quémandant quelques friandises, faute de quoi un « mauvais sort » est promis aux grippe-sous ! Les enfants déguisés en sorciers ou en squelettes sont-ils une lointaine transposition des mauvais esprits qu’il fallait amadouer ou chasser ?

Retour du boomerang… essoufflé

Et voilà que, il y a quelques années, nous avons assisté, en Europe, au retour du boomerang. Halloween, que le christianisme avait chassé au Moyen Âge, est revenu sur sa terre d’origine. Un boomerang à l’élan très amorti, une fête d’Halloween qui n’a plus grand-chose à voir avec le nouvel an celtique, mais tout de même, les signes de parenté sont perceptibles, quoique très effacés.

L’enracinement d’Halloween en d’antiques croyances, liées elles-mêmes au tournant de novembre, aux morts, aux mauvais esprits, explique sans doute que la fête promue par les commerçants ait rencontré le succès que l’on sait. Un succès qui va diminuant, mais qui se maintient tout de même. Pour combien de temps ?

Texte de Michel Salamolard.

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